En octobre 2019, l’Assemblée nationale française a approuvé le budget pour deux ans d’essais pour une expérimentation du cannabis médical. Cette expérimentation débutera réellement en Mars 2021 et portera sur 3000 patients, souffrants de maladies diverses, et dont les symptômes peuvent être soulagés par le cannabis thérapeutique. De nombreux patients en France voient cette expérimentation comme une lueur d’espoir en espérant voir un changement national et durable de politique envers le cannabis médical. Pour rappel, le cannabis médical est encadré légalement par plusieurs de nos voisins européens comme : Allemagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Suisse, Autriche, Espagne ou Portugal, ces gouvernements ont tous autorisé le cannabis médical et il est même remboursé par la sécurité sociale dans certains de ces pays. L’expérimentation à venir en France a eu lieu une dizaine d’années plus tôt dans les pays précédemment cités. Aux Etats-Unis, où le nombre d’études cliniques en cours sur le cannabis et de nombreuses pathologies explosent, le CBD et le Cannabis médical progressent et prennent une part de plus en plus grande dans la réponse thérapeutique.
La France reste donc pour l’instant encore bien isolée de cette mouvance internationale mais cette expérimentation du cannabis thérapeutique à la française marque peut-être le premier pas vers une inflexion des politiques répressives sur le cannabis, qui est devenu illégal dans l’hexagone en 1953.
Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que bien avant cette interdiction, la France a déjà été à la pointe du cannabis médical au niveau mondial.
Cannabis napoléonien
En 1798, la grande armée de Napoléon Bonaparte est à nouveau en marche vers la campagne d’Egypte. La France n’est pas encore prête à affronter la puissante flotte britannique et lance une expédition militaire en Egypte ayant pour but de bloquer la route des Indes à la Grande-Bretagne.
Bien que cette campagne militaire fût un échec, elle fut doublée d’une expédition scientifique qui a fait des découvertes cruciales dont la fameuse Pierre de Rosette.
Pendant leur séjour en Égypte, les soldats français constatent avec horreur qu’il n’y a pas d’alcool dans ce pays musulman. Il ne leur a pas fallu longtemps pour trouver un substitut sous forme de résine de cannabis ou « haschich » . Il y est mélangé à de l’opium ou à de l’hellébore. L’ensemble est présenté sous forme de confiture que les autochtones appellent le « dyâsmouck » (médicament musqué), car y étaient inclus du musc, du girofle et d’autres essences.
Les soldats ont immédiatement pris goût à cette confiture de cannabis et leur consommation ostentatoire entraîna une interdiction en octobre 1800. Le général Bonaparte, constatant les dégâts causés par la consommation abusive de ce dyâsmouck sur ses hommes, décida d’interdire « l’usage de la liqueur forte faite par quelques musulmans avec une certaine herbe nommée haschich, ainsi que celui de fumer la graine de chanvre. »
Sans surprise, les hommes ignorèrent l’ordre, bien que les cafés égyptiens furent forcés d’interdire toutes les boissons contenant du haschich distillé. Les autorités militaires ont fermé les magasins qui contrevenaient à l’interdiction et jetés leurs propriétaires en prison.
A leur retour en France en 1801, les soldats des troupes françaises furent nombreux à ramener du haschich dans leurs bagages…
Le cannabis, remède miracle.
La communauté médicale française était alors très sceptique quant à l’utilisation du cannabis dans la médecine car ils le pensaient toxique et dangereux. Ce ne fut qu’après les la publication des résultats des recherches de l’écossais Sir William Brooke O’Shaughnessy, médecin, scientifique et ingénieur que les vertus thérapeutiques du chanvre furent admises en Europe. Ses résultats suscitèrent un réel engouement chez les scientifiques occidentaux de l’époque qui exposèrent leurs expériences convergentes à travers diverses publications sur les différentes espèces de cannabis. En France, le plus connu d’entre eux a été le psychiatre Jacques-Joseph Moreau qui créa plus tard avec Théophile Gautier « le club des haschischins » en 1844, afin d’étudier les effets de la résine de cannabis sur ses membres.
L’utilité du cannabis fut rapidement constatée et il fut dès lors distribué massivement dans toutes les herboristeries.
Le cannabis et les médecins français
En France, de nombreux professionnels de la santé ont écrit sur les propriétés du cannabis. Louis-Rémy Aubert-Roche, médecin en chef de la Compagnie du Canal de Suez a publié en 1840 un traité intitulé « De la peste ou typhus d’Orient : Documents et observations recueillies pendant les années 1834 à 1838, en Égypte, en Arabie, sur la Mer Rouge, en Abyssinie à Smyrne et à Constantinople. » Au milieu des années 1830, il a traité 11 patients atteints de la peste au Caire et à Alexandrie avec du haschich. Il décrit dans son ouvrage que que la résine de cannabis avait guéri sept d’entre eux !
Il pensait que l’interaction du cannabis avec le système nerveux central de l’organisme aidait à lutter contre les effets de la peste. À l’époque, les médecins pensaient que la peste était une maladie du système nerveux central qui se propageait dans un corps prédisposé en raison de la corruption de l’air par des effluves souterraines (vapeurs pestilentielles), le sous-sol étant le lieu de la décomposition et de la corruption.
Le médecin français le plus célèbre, Jacques-Joseph Moreau de Tours était un psychiatre qui a étudié les effets du cannabis thérapeutique dans les années 1840. Moreau a voyagé en Orient pendant plusieurs années (de 1836 à 1840) et y a découvert les effets du cannabis qu’il a étudié. Pour cela, il a consommé du haschich pour en décrire précisément les effets dans son traité « Du hachich, des rêves et de l’aliénation mentale ». Il pensait que l’utilisation de la résine de cannabis était un moyen unique d’explorer la psyché humaine. Ses recherches ont également révélé que le cannabis aidait à augmenter l’appétit, à réduire l’insomnie et l’anxiété et à supprimer les maux de tête. Entre 1840 et 1843, Moreau affirme avoir soigné sept malades mentaux à Paris en utilisant du haschich.
Moreau a été témoin des effets de la fleur de chanvre lorsqu’il était en Algérie. Là-bas, il a vu des autochtones préparer une concoction appelée « le dawamesc ». Elle était composée de cannelle, de jus d’orange, de sucre, de musc, de noix de muscade, de cardamome, de pistaches, de noix de pin et de quelques autres ingrédients. Les têtes de chanvre étaient broyées dans ce mélange.
Cette recette était largement consommée par les membres du Club des Hashischins que Moreau a contribué à fonder en1844. Il apparaît comme un pionnier de la psychiatrie expérimentale et est considéré par ses pairs contemporains comme le père de la psychopharmacologie.
Le club des Hashischins
En 1844, Moreau de Tours, qui étudie et expérimente le cannabis médical depuis déjà plusieurs années décide d’en faire profiter son entourage et crée le club avec le peintre Boissard, Théophile Gauthier et d’autres personnalités de l’époque. Les réunions mensuelles ont lieu à l’hôtel de Lauzun dit de Pimodan situé sur l’île Saint-Louis à Paris.
Ce groupement de personnalités influentes du 19e siècle a pour but l’étude et l’expérimentation de drogues nouvelles telles que la résine de cannabis et l’opium. La démarche est scientifique et esthétique, la consommation de ces substances étant très rependue à l’époque dans les milieux scientifiques et littéraires. Théophile Gauthier fut un des membres fondateurs du club des Hashischins et il y rencontra Charles Baudelaire pour la première fois. Charles Beaudelaire habita même pendant une période dans l’appartement situé au-dessus du club des Hashischins et relatera une partie de ses expériences dans « Les paradis artificiels » qui décrit les effets du haschich et de l’opium et il y trouva l’inspiration pour son célèbre poème « L’invitation au voyage ».
D’autres membres illustres tels que les peintres Honoré Daumier et Eugène Delacroix ou les écrivains Gérard de Nerval, Gustave Flaubert, Alexandre Dumas et Honoré de Balzac viennent consommer du Dawamesc sous la supervision du docteur Moreau. Leur quête d’expériences intérieures et leur désir d’explorer la psyché les pousse à organiser régulièrement de nouvelles expériences pour étudier les effets du cannabis sur le corps et l’esprit.
L’apogée du cannabis thérapeutique
La communauté scientifique européenne de l’époque a dans son ensemble fait l’éloge des travaux de Moreau et a considéré la redécouverte des propriétés du chanvre comme une énorme avancée médicale.
Les médecins ont en revanche eu du mal à trouver un dosage standardisé en raison des différentes puissances des souches utilisées et du fait que chaque patient réagit différemment aux effets du cannabis. Les Français ont suivi l’exemple des médecins britanniques qui ont été les premiers à dissoudre le haschich dans de l’alcool pour créer une teinture. C’est sous cette forme que la reine Victoria consommait le cannabis pour calmer ses règles douloureuses. Le cannabis médical était généralement prescrit comme analgésique (névralgie et rhumatisme), sédatif, antispasmodique, antiémétique, antidépresseur, mais également comme traitement contre l’hystérie, les délires et les psychoses.
Jusqu’à la fin du 19e siècle, les laboratoires européens et américains produisent en masse ces teintures au cannabis qui étaient accessibles à toute la population.
Le 20eme siècle et la fin du cannabis médical
La première moitié du 20e siècle fut marquée par le développement du courant hygiéniste et des ligues de tempérance favorisés par la publicité intensive de l’industrie pharmaceutique qui dénigrait l’utilisation de drogues naturelles, au profit des nouveaux médicaments de synthèse produits en Europe et aux Etats-Unis. Le développement de ces médicaments injectables et synthétiques, dont l’aspirine, les barbituriques et les dérivés opiacés, contribua à la mise à l’écart des produits naturels tels que le cannabis. De plus, les scientifiques ne sont pas parvenus à identifier la structure chimique du THC et ce dernier n’était pas injectable.
Au début du 20e siècle la consommation de chanvre se réduit en Europe. Aux Etats-Unis les courants religieux moralistes qui ont plus tard conduit à la prohibition de l’alcool, stigmatisent l’utilisation du cannabis. Ces courants moralistes protestants, souvent associés aux mouvements féministes, prônent un retour à l’ordre moral et luttent contre la consommation de toutes les drogues et notamment l’alcool. Chaque drogue est associée à une minorité ethnique qui est stigmatisée et accusée de pervertir l’ordre moral : l’opium pour les asiatiques, les feuilles de coca pour les hispaniques et le cannabis pour les noirs.
Pendant cette même période, les laboratoires Bayer mettent au point « l’héroïne » et la commercialisent à l’aide d’une campagne de publicité massive de 1898 à 1908 pour soigner la toux et la dépendance à la morphine…
Le statut-co depuis la seconde moitié du 20eme siècle
A partir des années 1920, les Etats-Unis, pour assurer le monopole de leur industrie pharmaceutique, font pression et parviennent progressivement à imposer aux autres nations un contrôle strict du commerce de cannabis. En 1948, l’OMS, sous la tutelle de l’ONU établit la liste des drogues dangereuses dont le cannabis fait désormais parti. Pendant près de 50 ans, la situation évolue très peu : la plupart des recherches scientifiques sur le cannabis ont été gelées et la consommation récréative a été discréditée et réprimée.
Malgré la découverte de la structure du THC (tétrahydrocannabinol ) et du CBD (cannabidiol) par le médecin israélien Pr. Mechoulam dans les années 1960/1970, ce n’est qu’à l’aube du 21 siècle que la recherche sur le sujet reprend son essor avec la découverte en 1988 du système endocannabinoïde par l’équipe américaine de docteur Howlet.
Depuis le début du 21e siècle, le cannabis appliqué au secteur médical est de nouveau pris au sérieux par la communauté scientifique internationale, notamment, suite aux résultats positifs de nombreuses études sur le sujet. Plus de 20 000 études sur les cannabinoïdes ont en effet été publiées dans les années 2000/2010. Ces études ont conduit à une prise de conscience et une reconnaissance des propriétés thérapeutiques du cannabis dans de nombreux pays qui l’ont ensuite encadré pour pouvoir l’inclure dans leurs systèmes de santé et ainsi en faire profiter leur population.
Malheureusement, la France ne fait toujours pas parti de ces pays au désespoir de nombreux patients. Les politiques prohibitionnistes sur le cannabis médical et récréatif héritées d’un autre temps ont démontré leur inefficacité depuis bien longtemps puisque bien qu’étant le pays européen le plus répressif en la matière, c’est en France que la consommation récréative du cannabis, notamment chez les jeunes est la plus élevée.
Cette expérimentation sur le cannabis médical lancée en 2020 par le gouvernement français est la première étape d’un long processus mais le retard à rattraper est grand et il va falloir du temps pour que la France redevienne un acteur mondial important du cannabis thérapeutique.